Shéhérazade ou l’éducation d’un Roi

Extraits de « Shéhérazade ou l’éducation d’un roi », de Marie Lahy-Hollebecque, collection Destins de Femmes dirigée par Jacqueline Kelen.

 

Shéhérazade, au fil des nuits et des contes, présente à Schahriar une image du monde hallucinante par on étendue et sa variété, et procède sur lui aux divers degrés de l’initiation : elle en faisait à la fois un roi, un artiste, un lettré, un amant, un féministe, un sage et un philosophe… c’est-à-dire ce qu’elle est en droit d’appeler : un homme.

Or cette initiation est bien passée inaperçue du plus grand nombre qui a préféré voir, dans ces contes de Mille et une nuits, des histoires coquines ou graveleuses… et qui n’a pas compris la puissance subversive* de la parole féminine, ni la force de transmutation de l’étreinte charnelle.

*rappel : la subversion désigne un processus par lequel les valeurs et principes d’un système en place, sont contredits ou renversés.

Face au pouvoir violent du sultan, Shéhérazade déploie sa puissance féminine : celle qui éveille les forces de vie et de lumière. Aux fantasmes grossiers, aux idées vengeresses d’un mâle désappointé et blessé, elle réplique par une superbe leçon d’amour. Au bout du conte, ce n’est pas Shéhérazade qui évite la mort à laquelle elle ne croit pas, c’est Schahriar qui est sauvé. Sauvé parce qu’il a su reconnaitre, aimer et épouser la femme en lui, son Orient. Il est désormais hors du temps puisqu’il a accepté ce présent qu’est la Vie.

Experte dans l’art de capter les âmes, elle ne cherche pas à divertir le roi, à ruser au plus fin et à gagner chaque nuit un nouveau jour. Son but est plus noble : entrant par la porte de la curiosité, qu’elle découvre chez Schahriar, ce qu’elle poursuit par le moyen des contes (d’abord enfantins pour préluder… jusqu’aux grands récits descriptifs), c’est l’éducation totale de celui qu’elle espère pouvoir considérer au terme de l’effort comme son époux. L’ayant pris dans son ignorance et sa rudesse, elle le crée une seconde fois : elle le fait monter de l’instinct à la conscience, du réflexe automatique à la décision volontaire. Mais en suivant cette instruction du roi, elle n’oublie pas qu’elle œuvre pour la cause des femmes : non point seulement pour sauver de la mort ses sœurs menacées, mais pour les réhabiliter devant le Khalifat et devant les Siècles.

Note personnelle : Shéhérazade est donc pleinement consciente de sa féminité, reine en son royaume. Elle est une artiste, une lettrée, une amante, une ‘humaniste’, une sage et une philosophe… c’est-à-dire ce que l’on est en droit d’appeler : une femme. Une femme qui « initie », c’est à dire qui « enseigne » et « commence » un processus de transmutation, avec la loi du coeur.
Un mot chante à mon oreille : L’Orient… l’eau riant…
 
 

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